La théorie du complot « Love Jihad » : explications
En janvier 2023, des centaines de partisans de partis politiques hindous d’extrême droite ont organisé un défilé à Mumbai contre ce qu’ils appellent « Love Jihad ». Ce terme servait à l’origine à décrire des relations entre hommes et femmes de confession mixte, considérées par beaucoup comme controversées. À présent, il désigne une théorie du complot selon laquelle des musulmans se feraient passer pour des hindous afin de séduire et d’épouser des femmes hindoues, les convertissant au passage à l’islam.
Les défilés de Mumbai furent le point culminant d’une campagne d’un mois dont le but était d’attirer l’attention sur Love Jihad. Les partisans de cette théorie maintiennent que ce phénomène est si répandu que des mesures doivent être prises pour empêcher les femmes de tomber aux mains de ces criminels.
Pour étayer leurs demandes, les contestataires citent plusieurs incidents. Tout d’abord, le cas de l’étudiante hindoue Nikita Tomar, assassinée par son petit ami, Tauseef Ahmed, en 2020. Pendant le procès, l’accusation a affirmé que le jeune homme avait tué Nikita Tomar après le refus de cette dernière de l’épouser et de se convertir à l’Islam. Tauseef Ahmed a été condamné à l’emprisonnement à vie. Citons également le cas de la vendeuse hindoue Shraddha Walkar, étranglée à mort par son compagnon Aftab Poonawala, en 2022. Bien qu’il n’existe pas de preuve claire que ce dernier soit musulman, les militants avancent que le meurtre de Shraddha Walkar est un autre cas de Love Jihad. Aftab Poonawala n’a pas encore été condamné.
Cette nouvelle manière d’envisager la théorie du complot Love Jihad n’est qu’un autre symptôme d’une montée de l’islamophobie en Inde. En septembre 2022, Human Rights Watch a signalé que le biais institutionnel des autorités indiennes et le recours accru du gouvernement à la force contre les communautés musulmanes « envoient au public le message que les musulmans peuvent faire l’objet de discriminations et d’attaques ». Si des changements se profilent au sein du gouvernement en vue de criminaliser la conversion religieuse forcée, le recadrage de Love Jihad, présenté comme une attaque criminelle commise par des musulmans, ne fait qu’attiser la discrimination religieuse dans le pays.
Selon les militants et les commentateurs indiens, les défenseurs de cette théorie discriminent contre le groupe même qu’ils prétendent protéger, à savoir les femmes. Lors d’un récent épisode du podcast indien SheThePeople, la superstar de Bollywood et défenseuse des droits des femmes Richa Chadha indique que la théorie du complot Love Jihad « s’est politisée, devenant un débat monté de toute pièce pour contrôler le corps des femmes. »
Autrement dit, outre la calomnie des hommes musulmans (et par extension de tous les musulmans en général), les théoriciens de Love Jihad impliquent ainsi que les femmes sont faibles et qu’au moment de choisir un partenaire convenable, leur jugement n’est pas fiable. Kavita Krishnan, militante qui lutte contre les violences domestiques, décrit le mouvement Love Jihad comme « une atteinte aux droits des femmes à aimer une personne de leur choix ».
Meena Kandasamy, écrivaine, universitaire et militante des droits civils primée, avance qu’on est en train de retirer aux femmes indiennes leur capacité à prendre leurs propres décisions. « Love Jihad est un concept créé par l’extrême droite pour diaboliser les hommes musulmans et pour infantiliser les femmes hindoues, qui se trouvent être la communauté majoritaire ici », déclare-t-elle. « Il s’agit d’une autre arme déployée par le gouvernement d’extrême droite pour polariser les gens davantage, et pour veiller à ce que les femmes soient constamment surveillées, contrôlées et placées sous vigilance, privées de leurs droits. »
Simon Coates est un artiste et écrivain basé à Londres, dont les écrits ont été publiés dans The New European et dans le journal écossais The National