La « santé intestinale » serait-elle une nouvelle façon de se mettre au régime ?
La santé intestinale connaît son heure de gloire en ligne. Vous luttez contre la fatigue ? Ce sont vos intestins ! Vous souffrez de ballonnements ? Encore vos intestins ! Des éruptions cutanées ? J’en passe et des meilleures. Preuve à l’appui : le hashtag #GutHealth (santé intestinale) a cumulé 2,4 milliards de visionnements sur TikTok. On nous dit que nous devons « guérir nos intestins ». Par conséquent, la « guérison des intestins » et les « astuces pour une meilleure santé intestinale » inondent la page FYP (For You Page) de l’appli. Pour les non-initiés, un grand nombre de ces vidéos commencent par énumérer les symptômes : déséquilibre hormonal, brouillard cérébral, inflammation corporelle... Et puis, on nous présente un montage avant et après. Un selfie, dans une salle de bains mal éclairée, de quelqu’un se plaignant de ballonnements. Ces derniers disparaissent dans la photo d’après, révélant des abdos aussi musclés que hâlés. On nous conseille ensuite toute une pléthore de changements de style de vie et de régime alimentaire qui prétendent vous donner les mêmes résultats. Un grand nombre d’influenceurs et d’influenceuses ne jurent que par le jus d’aloe vera. « Ma santé intestinale ? Elle ne s’est jamais aussi bien portée », s’extasie l’une d’elles dans une vidéo likée plus d’un million de fois. D’autres nous recommandent de boire de l’huile d’olive extravierge ou de l’eau avec des graines de chia et de démarrer sa journée par un bol de soupe. Tout cela au nom de la « santé intestinale ». Mais s’agit-il vraiment de « santé intestinale » ? Ou bien la « santé intestinale » n’est-elle que la nouvelle façon de se mettre au régime ?
Il ne fait aucun doute que la santé de notre intestin peut impacter notre santé générale. De récentes études montrent à quel point notre intestin est au centre de toutes sortes de troubles cutanés, digestifs et immunitaires, mais aussi qu’il est essentiel pour la santé mentale. Le problème, comme le pointe du doigt un récent article du New York Times, est que l’obsession en ligne pour la santé intestinale est révélatrice du fait qu’il n’existe pas assez de données probantes quant aux vertus soi-disant miraculeuses de ces solutions pour le système digestif.
« Les connaissances que nous détenons sur la santé intestinale ont énormément progressé », explique la thérapeute nutritionnelle et autrice Eve Kalinik. « Mais à cela vient se greffer un aspect plus sombre, à savoir cette promotion de produits et de programmes... De plus, sous couvert de son côté sain, cet engouement peut participer à une logique menant aux troubles alimentaires. »
Les tendances détox et purification ont atteint un pic dans les années 2010. Si ces termes sont aujourd’hui passés de mode, à l’heure où il est quelque peu tabou de parler ouvertement de régime, les récentes tendances en matière de santé intestinale popularisées en ligne ont simplement remplacé les anciennes, avec un vocabulaire remis au goût du jour : « anti-ballonnement » est un clin d’œil au ventre plat, tandis que « guérison des intestins » n’est autre que l’amélioration de la santé générale. « Une flore intestinale saine ne signifie pas forcément avoir un ventre plat », explique Eve Kalinik. « Cela n’a rien à voir avec l’esthétique, mais avec ce qui se passe à l’intérieur. C’est sur ce point que la communication est erronée. » Les termes qui circulent font également sourciller les professionnels. « Guérir ses intestins est une expression à la mode. Nous évitons de l’utiliser, car elle est souvent associée à des protocoles qui ne sont pas toujours appuyés par des preuves », explique Jo Cunningham, directrice de clinique et diététicienne agréée pour The Gut Health Clinic. Eve Kalinik abonde dans ce sens : « Je n’aime pas employer le mot “guérison de l’intestin”, parce que l’intestin n’a pas forcément besoin d’être guéri. Il lui faut peut-être une aide supplémentaire qui dépend des circonstances de l’individu. »
Une étude de 2020 a découvert que 40 % de la population mondiale souffrait de problèmes gastro-intestinaux qui nuisent à leur qualité de vie. Ce problème existe donc bel et bien. (Selon Eve Kalinki, il faut avant tout être attentif aux « changements affectant les selles, au sang dans les selles, à toute douleur ou à tout ballonnement excessif et persistant. Tous ces troubles doivent être vérifiés par un médecin généraliste. ») Envies de glucides, ballonnements, éruptions cutanées, inflammation et fatigue... autant de signes d’intestin endommagé. Mais il s’agit aussi souvent des symptômes de la vie quotidienne. Alors, de là à conclure que ce sont des symptômes d’un intestin endommagé... c’est non seulement inutile, explique le Dr Lara Zibarras, psychologue et coach en food freedom, mais cela peut également engendrer un rapport négatif à la nourriture et à l’image de soi. Par conséquent, elle nous met en garde contre la tendance à cataloguer les aliments selon leurs bienfaits ou leurs effets néfastes pour les intestins. « Cela encourage les troubles alimentaires... Éliminer totalement un aliment de son régime alimentaire sans diagnostic médical est inutile. »
Il est encore plus complexe d’identifier en ligne les faits concernant la « santé intestinale », car ce contenu peut être dissimulé derrière des conseils de santé prouvés scientifiquement. Les créateurs peuvent se décrire comme un « nutritionniste » ou un « médecin holistique », souvent pour masquer un manque de qualifications, nous met en garde Jo Cunningham. « Le terme “diététicien·e” est un titre professionnel protégé, alors si un diététicien fait une recommandation, le conseil se base sur des preuves scientifiques récentes. Si certains nutritionnistes sont hautement qualifiés et agréés, n’importe qui peut malheureusement prétendre exercer ce métier. »
Tout comme la plupart des informations en ligne, les spécialistes invitent à la prudence. Selon Jo Cunningham, notre obsession actuelle pour la santé intestinale n’est qu’un autre exemple de contenu « transformationnel » en ligne. « Auparavant, on parlait de régime, de détox, de purification, mais prendre soin de ses intestins est tout autre chose, car cela bénéficie véritablement à [votre santé]. Pour cela, il suffit de se faire conseiller par des experts. »
Eve Upton-Clark est une journaliste indépendante basée à Amsterdam. Elle collabore avec les revues Dazed, i-D, Refinery29 et Cosmopolitan