La forme du son : comment Christine Sun Kim réimagine la langue des signes en tant qu’art
Depuis longtemps, les sons emplissent l’univers de l’art, mais ils se conforment à une définition étroite : celle relevant du domaine de l’audible. En 2008, l’artiste multidisciplinaire Christine Sun Kim remarque que les galeries de Berlin, ville où elle réside, affichent un manque d’art visuel, mais une profusion de sons. Elle entend ainsi changer les schémas établis et élargir les espaces ouverts à la communauté malentendante. Dans son populaire TED Talk, The Enchanting Music Of Sign Language (la musique enchanteresse de la langue des signes), elle affirme : « J’ai décidé de reprendre possession du son et de l’intégrer à mon art. »

Christine Sun Kim, qui communique dans la langue américaine des signes (ASL), se met alors à explorer les similarités entre la notation musicale et l’ASL. Son travail fait désormais partie de collections majeures comme celles du Whitney Museum Of American Art de New York et du Tate Modern de Londres ; elle continue par ailleurs à faire des recherches sur les implications sociales et la politique des sons par le biais des médias visuels.
J’ai rencontré Christine Sun Kim à l’inauguration de sa nouvelle exposition à la Somerset House de Londres, Edges Of Sign Language. Cette dernière marque un tournant dans la carrière de l’artiste, en passant à une approche plus minimale, par le biais de toiles dont la forme, plutôt que le contenu, représente les mots et expressions de l’ASL qu’elles dépeignent. De forme oblique, avec un début et une fin ambigus, Score (2023) « fait référence à une portée [musicale] ». « Cette œuvre porte sur le travail avec les interprètes de la langue des signes américaine », m’explique Kim. « Je suis la “partition”, je donne des informations. Dans le même temps, l’interprète est également ma “partition”, sa voix influence la manière dont je m’exprime. »
Ces nouveaux travaux s’inscrivent tout naturellement dans la lignée des premiers muraux et de l’art public de Kim. En 2021, elle installe « des sous-titres incrustés » dans la ville de Manchester en Angleterre. « À mesure que mon vocabulaire visuel s’enrichissait, je me sentais comprimée dans mon espace », explique l’artiste. « Si on fait quelque chose en très grand, ça force les gens à le voir, on leur impose notre vie. » L’un des sous-titres, affiché au-dessus de la ville sur une bannière aérienne, était : THE SOUND OF NO FIGHT. (LE SON DU NON-COMBAT). Un autre, situé sur la façade du National Football Museum, proclamait : THE SOUND OF AGREEING NEVER TO CALL IT SOCCER. (LE SON DE CONVENIR DE NE JAMAIS L’APPELER SOCCER). « L’humour est un outil qui me permet de survivre, explique-t-elle. J’en ai tellement marre. Je suis en colère. Mais comment être furieuse et ne pas repousser les gens pour autant ? Avec l’humour ! » Après tout, l’esprit, comme toutes les données visuelles que Kim utilise dans son œuvre, est universel ; il n’est lié à aucune culture ou langue particulière.
Tout en mettant en avant une nouvelle compréhension du son et de la langue, Christine Sun Kim souligne l’ancrage de l’exclusion et de la discrimination envers les personnes en situation de handicap dans notre société. « La surdité n’a jamais eu de place dans l’Histoire, déplore-t-elle. Dans mon travail, je veux me forger cette place. » L’artiste prévoit de faire une nouvelle incursion dans le spectacle vivant et de continuer de travailler la forme sur toile. « Au début [de ma carrière], on était très facilement catalogué, alors j’évitais d’utiliser la langue des signes dans mon travail. », avoue-t-elle. « Mais maintenant, je suis prête ! »
Edges Of Sign Language se tient à la Somerset House, à Londres, jusqu’au 21 mai 2023
Ella Slater est une écrivaine basée à Londres qui se consacre à l’art et à la culture
Captioning The City (2021) ⓒ Lee Baxter; How Do You Hold Your Debt (2022), JTT NYC; Too Much Future (2017), Whitney Museum Of American Art ⓒ Ron Amstutz; The Star-Spangled Banner (Third Verse), (2020), François Ghebaly; All Day All Night ⓒ Reinis Lismanis. All: Christine Sun Kim; François Ghebaly, LA; White Space Beijing