« J’éprouvais ce sentiment accablant de panique, comme victime d’un sortilège, et j’attendais qu’il se brise » : Mark Ronson s’ouvre sur ses attaques de panique
« Mark Ronson est l’un des plus grands producteurs de sa génération et ce fut un honneur de le contacter pour Service95. En découvrant son parcours, j’ai fait pas mal de parallèles avec le mien, notamment en ce qui concerne les problèmes qu’il a dû surmonter. Tout comme Mark, je suis passé par des phases de désorientation intense et de panique, et j’avais l’impression d’être perdu dans un monde spirituel. Savoir que les gens que l’on admire ont traversé des épreuves semblables aux siennes apporte une certaine paix intérieure, surtout lorsqu’on découvre qu’ils s’en sont sortis plus forts. En tant qu’artiste, rescapé et fan de son œuvre, c’est avec grand plaisir que je vous présente l’histoire dont il nous a fait part pour ce numéro. » – Glenn Lutz
J’ai subi ma première attaque à l’âge de quinze ans. C’était onze heures un soir de semaine, et ce fut totalement surréaliste parce que j’étais dans mon lit en train d’attendre que le sommeil me gagne. Je suis sûr que ma mère avait déjà entrouvert la porte de ma chambre pour vérifier que j’avais bien éteint la lumière. J’ai entendu le cliquetis d’un tuyau. À l’époque, nous vivions dans une ancienne école et la chaleur faisait souvent claquer les tuyaux comme ça. C’était bizarre parce que même si j’avais entendu ce bruit maintes fois auparavant, cette fois-ci les tuyaux semblaient... en colère. Ce son de la vie quotidienne m’a tout à coup paru violent, tel un nuage menaçant pesant sur toute ma chambre. Je me suis assis et me suis demandé « Merde, c’est quoi ça ? » Un autre cliquetis a suivi, puis un autre. Ce n’était pas tant le bruit que cette impression de colère.
Je me suis levé et j’ai allumé la radio pour tenter d’interrompre cette situation étrange. Quelqu’un annonçait la météo. Je suis sûr que le gars disait quelque chose comme « Il fera 20 degrés demain en ville... », mais j’avais l’impression que le présentateur me criait dessus et bouillonnait de colère. J’avais le sentiment d’être victime d’un mauvais sort.
Je suis sorti de ma chambre pour réveiller ma mère. Quand on a quinze ans, il est embarrassant d’admettre qu’on a besoin de sa mère pour régler un problème. Mais je suis entré dans sa chambre. Elle s’est réveillée et le fait de lui parler a en quelque sorte brisé le sortilège.
Cette année-là, ces épisodes se sont reproduits deux ou trois fois et puis ils ont disparu comme ils étaient venus. À l’époque, je ne voyais pas de psy, même si j’en avais consulté un brièvement quelque temps avant. Quand j’avais huit ans, j’ai quitté le Royaume-Uni avec ma famille pour aller vivre aux États unis. Là-bas, il était plus courant de voir un thérapeute qu’en Angleterre. Le divorce de mes parents fut terrible, donc je n’ai pas grandi dans un environnement très paisible. Ma mère a pensé qu’il serait bon pour mes sœurs et moi de voir un psy lorsque nous avons eu douze ou treize ans.
J’ai toujours été quelqu’un d’assez anxieux, mais je n’ai pas eu d’autres attaques de panique avant l’âge de 27 ans. C’est à ce moment-là qu’elles ont repris. J’éprouvais ce sentiment accablant de panique, comme victime d’un sortilège, et j’attendais que celui-ci se brise. Une fois, cela s’est produit alors que je marchais dans les rues de New York. J’avais 28 ans et je crois que mon premier album allait sortir la semaine suivante. Peut-être que c’était le stress lié à cela. C’était l’heure de pointe et je me souviens d’avoir pensé : « Je veux juste m’allonger sur le trottoir. » Je ne me sentais tout simplement pas capable de marcher ou de faire quoi que ce soit. La seule solution semblait de m’allonger.
Ce fut une période très différente de ma vie, dans laquelle se côtoyaient deux aspects conflictuels de ma personnalité. D’une part, je faisais la fête et je prenais beaucoup de drogue ; je ne voyais pas de psy et je n’étais pas suffisamment curieux, ou je n’avais pas l’intuition, de me demander ce qui se passait. D’autre part, j’étais un professionnel accompli, ambitieux et déterminé, trop fier pour m’avouer que j’étais en train de devenir un raté total, peut-être même un addict. J’étais aussi particulièrement doué pour le cacher. C’est comme ça que je gérais mon anxiété. Je mettais la tête dans le sable et je ne gérais rien. Faire des excès le week-end était ma façon à moi de gérer ; je ne sais pas comment j’ai fait, mais j’ai réussi à garder la tête hors de l’eau. Je ne me suis jamais vraiment vu comme un accro, et je l’étais sans doute dans une certaine mesure. C’est avec la drogue et l’alcool que je faisais face à mon anxiété.
Après ça, ces épisodes se sont raréfiés, mais ce n’est qu’il y a quatre ou cinq ans que j’ai commencé à apprendre à gérer par moi-même, après avoir consulté une psychologue incroyablement perspicace lors de sessions assez intenses. Cela peut paraître rebattu, mais j’ai beaucoup travaillé sur moi. J’ai tout d’abord suivi une thérapie deux jours par semaine, puis j’ai lu tous les livres que le psy m’a conseillés avant d’être orienté vers le Hoffman Institute. J’étais prêt. J’ai arrêté la drogue, mais pas l’alcool. Je ne veux pas donner de fausse impression à ce sujet. Et j’ai reconnu des schémas de pensée que j’utilisais quand je gérais mon anxiété, que j’avais choisi de ne pas voir auparavant, comme : « Oh, c’est juste que j’aime faire la fête, je n’ai pas de problème, j’aime tout simplement sortir et me défouler ; je fais le DJ et j’aime sortir tard le soir, c’est normal ! »
C’est en étant bien plus en phase avec la situation et avec ma manière de gérer mon anxiété que j’ai pu la surmonter. Cette démarche, alliée à une bonne dose de thérapie cognitivo-comportementale (TCC) et de méditation, m’a permis de ne pas perdre la raison. J’aime la TCC parce que cela donne des outils spécifiques pour sortir de la spirale infernale de l’anxiété à laquelle certains de nous sont susceptibles. Et bien entendu, il faut trouver le bon type de méditation. Personnellement, j’aime la méditation transcendentale. Si je n’en fais pas pendant un petit moment, je ressens ce trop-plein d’anxiété, et des pensées négatives surgissent au fond de moi.
Le bien-être mental reste un sujet délicat à aborder ; on ne veut pas être perçu comme quelqu’un qui s’ouvre trop aux autres et qui essaie de résoudre ses problèmes en public. Mais en même temps, il est tellement utile d’en parler. J’ai grandi dans une famille où l’on ne discutait certainement pas de ses sentiments, mais je pense que c’est très important, car cela permet d’éliminer la stigmatisation. Les gens qui ont besoin de soutien doivent savoir qu’il n’y a pas de mal à cela et qu’il existe des moyens de se faire aider.
Quand j’évoque ma santé mentale, j’éprouve toujours des sentiments partagés, car je n’ai pas envie de passer pour une personne suffisante qui aurait trouvé la solution miracle. Personne n’a de remède miracle, il s’agit d’un parcours personnel. Mais quand je lis un livre que j’aime et qui pourrait aider quelqu’un d’autre, je leur en offre une copie, sans porter de jugement. Pour moi, c’est une bonne chose de parler ouvertement de cette affection, surtout à l’époque actuelle.
Je crois vraiment que la thérapie et le travail que j’ai fait sur moi ces quatre ou cinq dernières années m’ont permis de me reprendre en main. Mon anxiété me poussait à travailler dur, alors j’avais du mal à l’envisager comme quelque chose de négatif. Je me disais « Bah, mon anxiété est ce qui fait de moi un bourreau de travail, ce qui me motive dans ma carrière. » Mais ce mode de vie n’est pas équilibré, et je suis bien plus heureux à présent. Je continue à aimer créer dans mon studio. J’adore toujours les mêmes choses, mais aujourd’hui d’autres choses me motivent. Je me rends dans mon studio par plaisir, sans me dire « Merde, il se passe quoi si j’y vais pas ? Est-ce que quelqu’un d’autre décrochera ce concert ? »
Je suis toujours sujet à ce même type d’angoisse et aux mêmes pensées négatives qui m’assaillaient ; mais aujourd’hui, quand je les sens venir, je suis beaucoup mieux équipé. Maintenant, je les vois venir et je leur fais face en me demandant « Est-ce que c’est bien réel ? ». La plupart du temps, ça ne l’est pas. Fiona Apple a écrit des paroles géniales ; elle décrit une dispute avec son petit ami dans sa chanson Paper Bag : « Il répond “Tout ça est dans ta tête” et je réplique “Comme tout le reste”, mais il n’a rien compris. » Et c’est exactement ce que sont ces pensées : de l’anxiété, des impulsions électromagnétiques dans le cerveau. Il s’agit de s’outiller pour reconnaître celles qui ne sont pas réelles et corriger cette situation. Je ne suis pas guéri, mais aujourd’hui ce qui me motive c’est la joie plutôt que la peur.